SCÈNES D'INTÉRIEUR
Mélanie Leray
*** L’envers du décor ***
Scènes d’intérieur – Mélanie Leray – Cie 2052
Résidence de création au Canal
du 19 au 31 mai 2025
Rencontre avec Mélanie Leray (autrice, metteuse en scène)

Mélanie, pouvez-vous nous présenter votre dernière création, Scènes d’intérieur ?
J’ai lu en juin 2022 La Maison de poupée d’Henrik Ibsen, qui traite de l’assujettissement des femmes au niveau conjugal. Cela m’a donné envie de travailler sur ce sujet. J’avais l’intuition qu’il fallait partir de l’histoire d’Ibsen, pour l’ancrer dans notre époque. Le spectacle traite donc de l’histoire d’une femme d’aujourd’hui, Chloé, 43 ans. Elle est comédienne, et doit incarner Nora, l’héroïne de la pièce d’Ibsen. Et on a alors une mise en abîme des choses, entre l’histoire de la pièce qu’elle doit jouer, et sa propre vie, aux prises avec la violence, et plus précisément la violence conjugale. Chloé est ce qu’on appellerait une « transfuge de classes », et elle se débat comme elle peut avec ses mensonges, ses contradictions, et la relation toxique qu’elle entretient avec son mari.
On pourrait dire que Scènes d’intérieur est en fait l’histoire de trois femmes : Chloé adolescente (à l’âge de 16 ans), sa mère (elle-même victime de la violence de son conjoint), et Chloé aujourd’hui.
Après avoir lu la pièce d’Ibsen, j’avais aussi envie de traiter de la question des enfants : dans ces situations familiales compliquées, que deviennent-ils ? Quelle est leur place ? Comment sont-ils impactés ? Dans ce spectacle, il y a beaucoup d’enfants au plateau, que ce soit à travers le support vidéo, ou sur scène, avec la marionnette qui représente l’enfant de Chloé.
La pièce traite d’une thématique douloureuse : les violences conjugales. Comment aborde-t-on un sujet aussi sensible, en tant qu’autrice comme en tant que metteuse en scène ?
La question des violences conjugales est taboue. Aujourd’hui, ça reste compliqué pour une femme de quitter son mari, de s’extraire d’une relation toxique. J’avais envie de parler de cette thématique, d’évoquer cette attitude héroïque pour une femme qu’est la décision de quitter son mari en cas de violences.
Dans le spectacle, la violence est évoquée, que ce soit de manière gestuelle, sexuelle, mais aussi par la parole. Parfois on devine les choses plus qu’on ne les voit. Mais ma pièce est une fiction, ce n’est pas un documentaire. On rentre dans l’intimité de la violence à travers une histoire particulière. Je cherche un théâtre qui présente la chose sans forcément la dire.
La vidéo tient une place particulière dans votre travail. Comment l’envisagez-vous dans votre travail de metteuse en scène ? Comment l’articulez-vous avec le spectacle vivant ?
L’image permet de raconter ce qu’on ne peut pas dire avec les mots. Elle permet de faire comprendre des choses sans avoir à les formuler. Elle crée une proximité, une intimité… ce qui peut sembler de prime abord un peu compliqué, lorsqu’il s’agit de théâtre. En donnant accès aux visages, aux émotions, l’image fait naître une réelle proximité entre les spectateurs et les comédiens.
Au niveau de la mise en scène, il faut avoir en tête qu’entre la partie jouée et la partie filmée, cela implique de travailler avec deux équipes distinctes : une équipe « film » et une équipe « scène » (exceptée Julie Henry, qui est à la fois sur la partie scène et la partie film).
Sur scène, il y a deux écrans : l’un fait écho au passé, avec l’adolescence de Chloé, et l’autre se déroule dans le temps présent… comment la technique vient-elle nourrir la scénographie ?
Le fait d’avoir deux écrans permet de jouer entre les espaces-temps, et d’inventer une scénographie particulière à deux écrans : parfois utilisés distinctement, parfois ensemble.
Dans Scènes d’intérieur, l’histoire est simple. Le film ne parle pas beaucoup, mais montre des choses et répond à ce qui se passe sur scène.
La musique a également une grande place dans ce spectacle. Elle a été composée par Émilie Quinquis. La musique permet de raconter ce qui vivent les personnages, notamment Chloé et Henri, d’exprimer ce qu’ils ressentent.
Pour la création du spectacle Scènes d’intérieur, votre compagnie a été accueillie en résidence à Redon, à deux reprises au Lycée Beaumont, puis au Canal en mai 2025. Sur quoi avez-vous travaillé précisément pendant ces différentes périodes ?
Pendant la première période de résidence au Lycée Beaumont, en 2024, avec Cyrille Leclercq (responsable du dispositif vidéo), nous avons proposé à des élèves de seconde un atelier cinéma, à travers la réalisation d’un court-métrage.
En 2025, nous allons poursuivre la résidence avec ces mêmes élèves, désormais en première, ainsi qu’avec des secondes de la section cinéma. Nous nous orienterons cette fois-ci davantage vers le théâtre. Les élèves vont jouer avec Prune Bozo, la comédienne qui incarne Chloé adolescente dans le film du spectacle. Nous allons tourner avec eux une séquence, qui fera partie du film diffusé pendant le spectacle Scènes d’intérieur.
Pendant la période de résidence au Canal, du 19 au 31 mai 2025, nous avons travaillé notamment sur la vidéo : caler les choses techniquement, valider que la taille de l’écran était bien adaptée, articuler le lien avec la partie jouée sur scène…
Merci Mélanie !
Propos recueillis le 28 mai 2025
par Alice Haugomat – Le Canal
Le spectacle Scènes d’intérieur sera programmé
le jeudi 5 mars 2026 à 20h30 au Canal.
La Compagnie 2052 a été fondée par Mélanie Leray en 2012.
Le travail de création de Mélanie Leray repose principalement sur des écritures contemporaines qui interrogent nos sociétés, souvent par le biais de figures féminines.
Il s’articule autour des dramaturgies qui explorent les mécanismes de contrôle et de domination dans nos organisations sociales, que ce soit dans le cadre du couple, de l’entreprise ou des différences de genre… Ces créations ont toujours été pensées pour le public replaçant les récits dans leur contexte, l’incitant à la réflexion et lui offrant ainsi une diversité de points de vue.
Ses spectacles développent une interaction entre les acteurs au plateau, leur image filmée et celle captée en direct. La caméra, loin d’être un objet secondaire dans son travail, permet de repenser le réel à travers la multiplicité des points de vue. Le spectateur voit le spectacle se jouer au plateau, mais l’envisage différemment en fonction des positions prises par le technicien qui filme en direct.